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naginata. Derrière cette petite troupe apparut le magicien venu
de l Empire de Qin. Il volait à un pas au-dessus du sol, les bras
croisés, et pourtant je ne distinguais aucune paire d ailes dans
son dos. Il était revêtu d une armure complète, une cuirasse de
joncs tressés et d argent noirci par les années passées et
l humidité. Un casque en forme de nuage avec des éclairs
formant comme une barbe occultait entièrement ses traits.
J imaginai alors qu il possédait un visage de démon, grotesque à
défaut d être effrayant.
La petite troupe se déploya. Les hommes à cheval passèrent
en seconde ligne.
« Reste là... Attends le dernier moment pour frapper. Tu
coupes d abord la lance, puis tu frappes à hauteur d épaule... »
me conseilla Musashi.
J enlevai mon masque de démon pour m essuyer le front et
le remis en place le plus vite possible.
Les hommes à pied se séparèrent en deux groupes de trois
combattants qui s élancèrent en hurlant.
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Musashi exécuta un kata et hurla à son tour en se jetant
dans la mêlée : « Je suis Miyamoto Musashi et vous allez tous
mourir ! »
L instant suivant, des fers de lance, des membres et des
têtes giclèrent en tous sens. Trois hommes venaient d être
éparpillés aux quatre vents et Musashi se précipitait déjà sur le
second groupe, celui qui fonçait vers moi. Agissant de la sorte, il
offrait son dos aux cavaliers qui n allaient pas hésiter une
seconde à le prendre en tenaille.
Pour ma part, je n avais pas encore bougé, attendant le
meilleur moment pour frapper.
Au moment tant redouté du contact avec l ennemi le plus
proche, je coupai sa lance et frappai de taille au niveau de
l épaule. Le sang gicla, je frappai à nouveau en hurlant, mais
mon cri fut couvert par le fracas des chevaux qui venaient d être
éperonnés, dont les sabots ferrés martelaient le Monde. Venu à
ma rescousse, Musashi s envola et frappa. Une tête vola au-
dessus d un véritable geyser de sang. Après un roulé-boulé
parfait, Musashi se dressa face aux chevaux, ne me laissant plus
qu un ennemi. Alors que je tournais autour de ma proie et que
celle-ci essayait de me transpercer avec sa lance, Musashi se jeta
en avant et attaqua les chevaux aux genoux et à la poitrine,
exécutant une dizaine de coups à une vitesse inhumaine,
presque invisible. Les unes après les autres, les bêtes mutilées
s effondrèrent dans la poussière en hennissant de douleur. Alors
que je me débarrassais de mon adversaire d un coup à la gorge,
Musashi se chargea d abréger les souffrances des montures et de
tuer les quatre cavaliers qui avaient roulé dans la poussière ou
avaient été écrasés par leurs chevaux.
J avais éliminé deux ennemis et Musashi s était chargé de
tous les autres... à l exception du magicien qui se tenait à un pas
du sol, à l autre bout de la rue.
Je m attendais à ce que ce dernier nous parle, nous menace,
hurle après nous. Il se contenta de s élever un peu plus dans les
airs, de rapprocher ses mains l une de l autre et d y concentrer
une boule d éclairs bleutés. Je me mis en garde, les deux mains
serrées sur la poignée de mon sabre, parfaitement immobile
dans l air enfumé.
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La boule d éclairs, d un bleu comme il n en existe pas dans
la nature, sauf peut-être sur le flanc de certains poissons des
mers chaudes, fusa dans ma direction à une vitesse incroyable,
mais je n étais pas la cible. La boule bleutée frappa la maison
qui se trouvait à quelques pas sur ma gauche, vers laquelle je
tournai instinctivement la tête ; une bonne partie de la bâtisse
vola en éclats. Des milliers d échardes me criblèrent le corps,
des rondins tournoyants me jetèrent à terre. Je lâchai mon
sabre, portai mes mains au visage, retirai mon masque avec
difficulté, l accrochant à quelque chose, un morceau de bois
planté en moi. La douleur commença à fluer dans mon corps
tout entier, comme un venin et son cortège de brûlures
douloureuses. Du sang me coulait dans la bouche. Mon visage et
surtout mes yeux étaient assiégés par un feu atroce. Mes oreilles
ne relayaient plus le son du monde que de façon étouffée,
lointaine, le tout couvert d un sifflement, le cri continu d un
insecte de la mi-journée collé à mon tympan.
Il y eut non loin de moi une autre explosion, étouffée, que je
ne pus voir à cause du sang qui m aveuglait. J entendis Musashi
crier  un hurlement atroce qui pouvait tout aussi bien être de
rage que de douleur  et le calme revint, avalant les instants qui
l avaient précédé. Je ne voyais rien, même après m être essuyé
le visage de nombreuses fois, et je mis du temps à comprendre
pourquoi. Du sang me collait les paupières et une écharde de
bois m avait crevé l Sil gauche en se faufilant dans le trou que
j avais creusé dans le masque de Dame Nô. Quelqu un m aida à
me relever. À l odeur aigre qu exsudait son corps, je reconnus
mon maître. Il retira le bout de bois fiché dans mon orbite et
emporta l Sil avec. Puis il coupa quelque chose, de la peau, je ne
voulais pas savoir, avant de m essuyer le visage.
« Veux-tu vivre, jeune Mikédi ?
 Oui, croassai-je comme une corneille aux ailes tranchées.
 Alors il va te falloir être très courageux. »
Il s éloigna de moi quelques instants, puis, sans me
prévenir, bloqua ma tête en me prenant par les cheveux et
enfonça dans mon orbite vide un fer chauffé à blanc qu il avait
dû retirer d une des deux granges qui finissaient de brûler. Je
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hurlai, vacillai, et alors que ma chair grésillait encore, je sentis
mon maître presser un linge sur ma plaie.
Quand je recouvrai mes esprits et pus voir à nouveau, du
seul Sil qu il me restait, Musashi portait contre sa cuisse droite
la tête du magicien de Qin, tête qu il avait attachée à la ceinture
de son kimono par la natte sacrée qui permet au Bouddha de
saisir les morts et de les hisser dans son domaine au tréfonds du
ciel. Le grand magicien avait un visage joufflu d enfant, un
visage d idiot du village.
« Voilà ce qu il advient d un homme puissant mais trop sûr
de sa puissance », commenta mon maître.
Il parlait du magicien bien sûr, mais aussi de moi et de l Sil
que j avais perdu en creusant un trou dans le masque de Dame
Nô, à l endroit précis où il n y aurait jamais dû avoir de trou.
« Pourquoi a-t-il fait exploser la maison, plutôt que
d envoyer cet éclair directement sur moi ? [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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